Le Courrier des Balkans – Roumanie : la dernière bataille pour l’or de Rosia Montana

Le Courrier des Balkans – Roumanie : la dernière bataille pour l’or de Rosia Montana

De notre correspondante à Bucarest

Mise en ligne : jeudi 5 septembre 2013 

Depuis dimanche, il flotte dans les rues de Bucarest un air de révolte. Tous les soirs, des

milliers de personnes se retrouvent pour manifester contre le projet minier de Roșia Montană. Aprčs bientôt seize ans d’attente, la mise en exploitation de l’or serait imminente. La semaine derničre, le gouvernement a donné le feu vert a la compagnie canadienne Gabriel Ressources.

 Par Julia Beurq

 

(©CdB/Julia Beurq)

Il est minuit et sur la place de la Révolution de Bucarest se joue une scène étrange. Des milliers de personnes sont assises en silence, au beau milieu de la Calea Victoriei. Cette place, cette avenue, deux symboles. «Roșia Montană, la révolution de notre génération», peut-on lire ces derniers jours sur les banderoles des manifestants. Depuis seize ans ans, la Roșia Montană Gold Corporation (RMGC) – détenue à 81% par les canadiens Gabriel Ressources, et à 19% par l’État roumain – attend impatiemment de pouvoir exploiter les 300 tonnes d’or et les 1600 tonnes d’argent qui sommeillent dans le sous-sol de ce village niché au cœur de la Transylvanie.

 C’est un projet de loi approuvé la semaine derniere par le gouvernement du Premier ministre Victor Ponta, qui a relancé la contestation. Dans la foule, on retrouve,Stefania Simion, arborant le drapeau vert et rouge, symbole de la campagne «Sauvez Roșia Montană». Depuis 2003, elle est conseillčre juridique de l’association «Albus Maior» qui regroupe les habitants du village opposés à la mine. Elle dit voir clair dans le jeu du gouvernement, pour elle c’est la dernière ligne droite avant l’exploitation: «Nous avons attaqué en justice une grande majorité des accords et des autorisations obtenus au fil du temps par la compagnie canadienne. Tous ont été annulés par les instances judiciaires, les autorités étaient donc en situation de blocage législatif. En voulant débloquer la situation, le gouvernement a proposé cette loi spéciale pour Roșia Montană, qui n’est pas constitutionnelle. On n’a pas le droit de créer une loi qui déroge ŕ une dizaine d’autres lois, pour le seul bénéfice d’un opérateur économique.»

 Les expropriations, point clé du nouveau projet de loi

Pour créer «la plus grande mine d’or à ciel ouvert d’Europe» – dixit le porte-parole de la compagnie – la Gold Corporation devra raser des montagnes, des églises, et des maisons du village. Tant qu’il reste des habitants, l’exploitation minière ne peut pourtant pas commencer. Męme si la compagnie a acheté 80% des maisons de Roșia Montană dont elle a besoin – poussant les habitants ŕ déménager ŕ Alba Iulia, la ville voisine – 50 familles d’irréductibles Roumains résistent aux pressions de la compagnie

. Cette dernière n’a pour le moment aucun recours car la législation en vigueur autorise les expropriations seulement pour des besoins d’ordre public (autoroute, hôpital …), ce qui n’est actuellement pas le cas, la RMGC étant une compagnie privée.

 Si cette nouvelle «méga-loi», comme l’appellent déjà les opposants au projet, est adoptéé par le Parlement, le projet Roșia Montană serait déclaré «d’intéręt national exceptionnel». Et, selon la juriste, «c’est sur ce point-lŕ que la loi entre en jeu. Elle introduit une procédure spéciale qui fait de la RMGC, le représentant légal de l’État roumain dans le cadre d’une expropriation. Le projet étant «d’intéręt public national», elle pourra exproprier elle-męme les habitants de Roșia Montană et leur payer des dédommagements avec son propre budget. »

Pas de développement durable du projet

Le principal argument des militants réside dans les 12.000 tonnes de cyanure qui seront utilisées chaque année pour extraire l’or. Alors que les ONG de défense de l’environnement fustigent ce type d’extraction, elles ont trouvé un allié de choix : l’Académie Roumaine. Depuis 2003, cette vénérable institution scientifique a pris, elle aussi, position contre le projet, en se fondant sur de nombreuses analyses scientifiques effectuées par les chercheurs de l’Académie.

Le professeur Valentin Vlad, vice-président de l’Académie doute du développement durable du projet: «On aimerait que cette région existe encore après 17 ans, la durée estimée pour l’exploitation minière. Mais qu’adviendra-t-il ensuite? Premièrement, il n’y aura plus d’or dans le pays, et l’État roumain devra entretenir des lacs de cyanure, avec des eaux polluées, des barrages sensibles aux séismes, aux intempéries et qui sont installés sur des terrains incertains du point de vue géologique. Tout cela a été prouvé par nos spécialistes géologues, mais aucun plan n’est prévu si une catastrophe arriverait ».

Toutes les recherches effectuées par l’Académie Roumaine ont été transmises au gouvernement avant qu’il n’élabore ce projet de loi. Pour le vice-président de l’Académie, le gouvernement n’est pas à l’écoute. «Je tiens à rappeler que l’Académie ne fait pas de politique, elle est là pour donner des conseils à ceux qui gouvernent, quelque soit leur couleur politique, explique le professeur Vlad, mais notre point de vue ne se reflète aucunement dans ce projet de loi. Nous considérons que les ministres auraient pu être un peu plus réceptifs aux opinions des spécialistes». De la même manière, le ministère de la Justice a donné un avis négatif sur le projet de loi, sans pour autant avoir été pris en compte.

 Roșia Montană à l’Unesco

Malgré l’opposition de la société civile, les enjeux économiques restent de taille: la création d’une centaine d’emplois dans le village et surtout une redevance à hauteur de 6% versée par la Gold Corporation à l’État roumain. Le dernier mot reviendra aux députés, car le projet de loi doit être examiner par le Parlement courant septembre.

Cependant, certains pensent que la meilleure maničre de protéger Roșia Montană serait de faire inscrire ce site au patrimoine de l’Unesco. En effet, sous le village serpentent des kilomčtres de galeries romaines, un site archéologique de grande valeur, qui serait amené ŕ ętre détruit si le projet minier avait lieu. Cette démarche a été lancée il y a cinq ans par l’association de défense du patrimoine «Architecture Restauration Archéologie». Mais depuis, la procédure n’a pas pu être finalisée, car aucun ministre de la Culture n’a signé le dossier monté par l’organisation. Selon la juriste Stefania Simion, «c’est clairement une volonté politique de ne pas faire entrer Roșia Montană ŕ l’Unesco, car il serait impossible d’ouvrir une mine de 1 600 ha au milieu d’un site protégé».

De plus, certains Roumains voient plus loin que l’or et redoutent déjà l’exploitation d’une autre ressource, convoitée quant à elle par une compagnie américaine: le gaz de schiste… Comme Emilia, cette mère au foyer originaire de Bucarest qui est venue manifester avec mari et enfant. «Je crois qu’il est important de ne pas créer un précédent explique-t-elle, si on commence ŕ accepter pour Roșia Montană, aprčs il y a les gaz de schiste, et un beau jour on se réveille et on se rend compte que notre pays est assiégé par des firmes étrangères qui veulent se faire du profit sur notre dos ».