Dinu PILLAT (1921 – 1975)
Pauvres enfants! Un sentiment de compassion qu’elle n’avait encore jamais éprouvé pour eux envahit Raluca. Sans le vouloir elle avait surpris chacun dans l’intimité de sa solitude. Quel drame dissimulaient-ils tous?… Qu’allait faire la vie de chacun d’eux?…
(Dinu Pillat, En attendant l’heure d’après)
La publication en France, en 2013, du roman En attendant l’heure d’après de Dinu Pillat (1) n’a pas eu pour but de précéder la venue de cet auteur à Paris, à l’occasion du Salon du Livre 2013, car Dinu Pillat était déjà mort depuis près de 40 ans à ce moment-là. La raison de cette publication tient plutôt au fait que ce roman de jeunesse, sur la jeunesse roumaine des années trente en Roumanie, occupe une place particulière dans l’histoire littéraire roumaine en même temps que dans l’histoire contemporaine du pays. En effet, le manuscrit d’ En attendant l’heure d’après a été confisqué à son auteur en 1959, avant même sa publication, et a disparu de la circulation jusqu’en … 2010. Ce n’est qu’à cette date que le texte originel du roman a été retrouvé par hasard, comme l’explique Gabriel Liiceanu dans une postface au roman, par une chercheuse du CNAS (Conseil National pour l’étude des Archives de la Securitate). Dinu Pillat avait quant à lui fait l’objet, au début des années 60, de la féroce répression des autorités communistes d’alors en étant envoyé dans les pires geôles du pays. Son procès, en 1959, avait été retentissant car le cas Pillat avait été associé à celui d’autres importants intellectuels roumains de l’époque comme, par exemple, le philosophe Constantin Noica. Condamné à 25 ans de travaux forcés et dix ans de dégradation civique, Dinu Pillat effectuera 5 ans, 4 mois et 3 jours d’emprisonnement et sera libéré le 28 juillet 1964 comme le précise sa fille, Monica Pillat, dans une seconde postface au roman.
Le thème de ce roman de Dinu Pillat, à savoir la jeunesse roumaine dans les années trente et sa fascination pour le fascisme incarnée par le mouvement légionnaire (la Garde de fer) (2), au moment où il est écrit, n’est pas en soi un thème nouveau dans la littérature roumaine car, déjà en 1935, Mircea Eliade, âgé seulement de 28 ans, faisait paraître un roman intitulé Les hooligans (3) abordant le sujet. Il s’agissait pour Eliade de faire la description de l’engouement pour le fascisme et ses régiments parfaitement et également intoxiqués par un mythe collectif qui prépare la jeunesse à une mort collective. Cette barbarie nouvelle, poursuit Mircea Eliade, est notamment le propre des hooligans que caractérise une totale ignorance des vérités, de l’ordre, de la maturité. Certains brisent les vitres et assomment les gens, d’autres affirment que le monde commencent avec eux (4). La même année 1935, Mihail Sebastian, tout aussi jeune que Mircea Eliade (28 ans), faisait paraître lui aussi un roman intitulé Comment je suis devenu hooligan (5). Un personnage du roman plus tardif Le retour du hooligan – Une vie de Norman Manea (6), comme en un lointain écho aux deux précédents ouvrages, dit de Iosif Hechter/Mihail Sebastian le Juif qu‘il répond aux hooligans (antisémites) en poussant la politesse jusqu’à se déclarer hooligan lui-même. Dinu Pillat, pour sa part, a déjà deux romans à son actif au moment où il se lance dans la rédaction de En Attendant l’heure d’après. Ces deux romans, non publiés en France, sont Étrange jeunesse et La mort quotidienne dont Gabriel Liiceanu nous dit qu’écrits à l’âge de vingt et vingt-cinq ans, il est question soit de jeunes qui ne savent que faire de leur vie, soit de personnes mûres ratées. Dans Étrange jeunesse notamment, tous les personnages s’ennuient, étouffent, tous ont horreur du spectacle de la vie croupie qui est celle de leurs parents. Et ils cherchent tous un moyen d’investir leur vie. Les uns partent au loin, le plus loin possible, d’autres cherchent l’amour unique, d’autres se suicident. A noter enfin que Le Journal d’un adolescent du même Dinu Pillat, publié à l’âge de vingt ans dans la revue Albatros en Roumanie, relève de la même thématique d’une jeunesse qui se cherche ailleurs que dans les préceptes qu’elle juge éculés de la bourgeoisie et de l’âge mûr.
Commencé durant l’été 1943, En attendant l’heure d’après ne sera terminé qu’en 1948 (Dinu Pillat a 27 ans) puis retravaillé par son auteur jusqu’en 1955. En 1959, le roman n’est pas encore publié lorsque les deux manuscrits que Dinu Pillat possède passent aux mains de la Securitate. Le 1er mars 1960, la sentence tombe et la condamnation note que ce roman fait l’éloge de l’idéologie légionnaire ainsi que des actions terroristes d’éléments légionnaires. Il faudra attendre 1997 pour qu’un recours en annulation revienne sur cette condamnation et déclare que ces écrits ne contiennent pas d’éléments légionnaires hostiles à l’ordre social existant à l’époque en Roumanie. Il convient ici de noter que deux des grandes figures intellectuelles de l’époque (devenus, après 1947, « les intellectuels du régime », citation faite par Gabriel Liiceanu dans sa postface) ont donné un avis certes négatif sur le roman mais cela plutôt sur la forme que sur le fond. Ainsi George Călinescu (7) explique son désaccord à Dinu Pillat par le fait que ce dernier n’a pas fait usage d’un style réaliste et caricatural. Tudor Vianu (8), pour sa part, dit ne pas avoir aimé le roman car les choses étaient vues sous un angle psychologique unique sans aborder une explication historique, politique et sociale du phénomène légionnaire. Monica Pillat, de son côté, nous indique que son père tient sa connaissance du mouvement légionnaire de l’abondante documentation qu’il a rassemblée pour écrire son livre. Elle écrit notamment (reprenant en cela les déclarations que Dinu Pillat fit lui-même lors des interrogatoires qu’il eut à subir, que le livre de Cioran La Transfiguration de la Roumanie (9) ainsi qu’une sélection d’articles, La Rose des Vents de Nae Ionescu, éditée par Mircea Eliade, avaient servi de documentation idéologique pour son travail. Et aussi que les violences antisémites à l’Université, qu’il relate dans le roman, lui avaient été racontées par l’écrivain Mihail Sebastian (10). Enfin, il convient de dire ici que le fond historique qui sert de trame au roman de Dinu Pillat est, à l’époque de sa rédaction, bien connu de tous et qu’il n’y a pas plus de dix ans entre les faits réels et la fiction romanesque. Dinu Pillat transforme le mouvement des légionnaires en mouvement des Messagers, Toma Vesper représente Corneliu Zelea Codreanu (chef historique des légionnaires) et Sebastian Răutu est le ministre Armand Călinescu, réellement assassiné par les légionnaires le 21 septembre 1939. Ce dernier assassinat faisant d’ailleurs suite, par vengeance, à celui de Codreanu et de 13 autres chefs légionnaires tués par les forces de l’ordre dans la nuit 29 au 30 novembre 1938.
Une des premières scènes du roman a lieu dans la maison de campagne du ministre Sebastian Răutu. La tradition veut que lorsque les Răutu prennent leurs quartiers d’été sur leur propriété de campagne, ils invitent leurs voisins et amis à fêter l’événement. Ainsi se trouvent là, avec eux, le couple Grigore et Raluca Holban ainsi que le colonel Ioanid. Assez rapidement, les banalités passées, la discussion vient à porter sur la situation politique du pays, suffisamment inquiétante aux yeux de Răutu pour qu’il considère qu’il faut prendre des mesures. Il est cependant sans savoir que les enfants Holban font partie de cette jeunesse désaxée victime du pseudo-messianisme de Toma Vesper qu’il veut châtier. Les parents Holban, à ce moment-là du roman, et d’ailleurs durant tout le roman pour ce qui est du père, ne sont pas informés que leurs deux garçons Stefănucă et Lucian sont des adeptes du mouvement des Messagers. Ainsi ce père non informé et qui ne tient pas spécialement à l’être, ayant mieux à faire dans son bureau à étudier les civilisations anciennes, est une première indication livrée par Dinu Pillat pour expliquer la déshérence de cette jeunesse. Si Ralucan Holban, la mère, apprendra assez vite l’engagement de ses fils, elle n’en sera pas moins impuissante à les dissuader de se mêler à cette politique violente. Quelques flash-backs dans le roman, portant sur la propre jeunesse de cette mère dans une famille bourgeoisie bien comme il faut, nous apprennent ainsi que le mouvement des Messagers ne recrute pas seulement dans des milieux défavorisés mais aussi au sein même de la bourgeoisie encore en place en Roumanie avant la seconde guerre mondiale et l’ère communiste.
Les motivations de ces jeunes nous sont indiquées par la voix de quelques-uns d’entre eux. Ainsi le jeune docteur Rotaru, dont on sait qu’il a participé à un attentat meurtrier, explique à Sebastian Răutu (qui lui, bien sûr, l’ignore) que le mouvement des Messagers ne se considère pas comme un parti politique du même style que les autres et qui correspondent à la mentalité de pérennité de l’opportunisme et de compromis des régimes parlementaires de chez nous telle que l’a dépeinte Caragiale dans son œuvre Une lettre perdue (11). Răutu, à cette diatribe de Rotaru, n’offre pas de réponses bien argumentées. Il se contente d’observer que les personnages de Caragiale ont permis aux Roumains d’être toujours sauvés en tant qu’État. En fait, son propos, par le ton employé, consacre davantage la fermeté qu’il entend mettre en œuvre contre les séditieux qu’une tentative de compréhension du phénomène. Vous ne vous rendez pas compte du ridicule, dit-il à Rotaru à la fin de leur entretien. De son côté, Lucian, le fils aîné de la famille Holban, s’imagine comme l’intellectuel du mouvement et être le seul capable de construire un système de pensée politique selon les prémisses encore nébuleuses de l’ « homme nouveau ».
Par ailleurs, Lucian et ses amis Messagers reçoivent des instructions leur demandant de publier une revue qui reflète l’idéologie des Messagers. Une fois réalisée, la revue est présentée par le fils Holban au responsable de la censure qui n’est autre que le colonel Ioanid, l’ami et voisin de ses parents à la campagne (Ioanid placé d’ailleurs à ce poste par Răutu). Le verdict est sans appel: la revue ne verra pas le jour en raison de son incompatibilité idéologique avec le régime en place. Qu’on en juge par les annotations relevées par le colonel Ioanid: Un parti politique doit être dogmatique, exclusif et intolérant… En politique, le fanatisme est la seule attitude à valeur éthique… Le jour où un parti arrive au pouvoir par le suffrage de la majorité, c’est-à-dire par quelque chose d’équivalent à un plébiscite, le système de la pluralité des partis est virtuellement aboli… En bref, une resucée de l’idéologie hitlérienne (Hitler d’ailleurs au pouvoir en Allemagne depuis 1933). A cette analyse politique se greffe, dans la revue des Messagers, une vision mystique de l’individu qui doit s’appliquer à tout citoyen: Nous avons besoin de Christ en série, rien d’autre. L’archétype moral de l’homme évangélique doit devenir une réalité collective... La phraséologie du jeune Cioran et de son livre La Transfiguration de la Roumanie n’est évidemment pas absente dans cette revue et transparaît clairement dans ce passage relevé par l’homme de la censure: Nous sommes victimes de nos vides psychologiques et non de fatalités d’un autre ordre. Pour que change notre destin dans le monde, pour faire un bond dans l’histoire, il ne nous reste que la voie de la restructuration sous le signe d’un nouveau messianisme. C’est donc là le mot d’ordre cher, non seulement au jeune philosophe, mais au aussi au mouvement des Messagers: Réhabilitons-nous dans l’histoire!…
Parallèlement à l’idéologie de ce mouvement, Dinu Pillat présente à ses lecteurs quelques portraits plus intimistes des Messagers. C’est, tout d’abord, celui de Lucian qui a pris la décision de tout refouler et d’engager un sourd combat contre lui-même lorsque ses avances à l’égard d’un camarade sont vertement écartées par celui-ci. L’homosexualité n’est pas un thème si souvent traité dans la littérature roumaine pour être passé ici sous silence. Son refoulement chez cet individu, qui prétend au titre de maître à penser des Messagers, peut-il contribuer à expliquer le déterminisme exacerbé et l’attitude violente d’un certain nombre de ces jeunes? Une causalité en tout cas que Dinu Pillat, avec courage et pertinence pour son époque, n’écarte pas et soumet ainsi à notre jugement de lecteur… Lică, compagnon de lutte des Messagers, offre un tout autre cas de figure en étant présenté comme l’arriviste qui change de camps lorsque la défaite se fait jour. Ainsi, le jeune homme s’empresse de s’inscrire au mouvement des Messagers car la politique reste le seul moyen de percer selon lui. Quelques temps plus tard, l’arrestation définitive de Toma Vesper et les vagues de répression toujours plus fortes, ce Lică trouve parfaitement absurde de subir des désagréments alors que le mouvement ne lui avait encore procuré aucun avantage. S’ensuit la trahison qui le conduit à livrer ses compagnons à la Securitate et de faire capoter les plans des Messagers dont il est au courant….
S’il a été relevé dans ces lignes l’adhésion de jeunes bourgeois au mouvement fasciste des Messagers, cela ne doit pas faire oublier que les injustices sociales sont aussi la cause de certains autres engagements dans cette forme de totalitarisme. Vaissia est un de ces jeunes gens dont les parents viv(ai)ent comme des bêtes de somme, à l’instar de tous les paysans et qui se résign(ai)ent jusqu’à la consolation au joug de leur destin, scellant leur patience de ce raisonnement stupide: C’est la volonté de Dieu. Dans un roman important de l’Entre-deux guerres en Roumanie, L’insurrection (Rascoala), Liviu Rebreanu mettait en garde, par le biais de la vaste fresque rurale que constitue son roman, des dangers à ne considérer la misère paysanne que comme une fatalité incontournable avec laquelle les milieux politiques devaient s’accommoder. Dinu Pillat reprend à son compte ce point de vue quelques années plus tard en présentant, sous forme explicative cette fois-ci, la misère des paysans et des enfants de cette paysannerie comme une des causes de l’embrasement de la violence en Roumanie dans les années 30. Car ce fils de paysan, Vaissia, n’est pas prêt au dialogue. Devant la passivité insondable de ses parents, il juge inutile une révolution qui propose des réformes en faveur du peuple. La solution, selon lui, c’est de supprimer les institutions en vigueur: non seulement les formes en soi, mais aussi les hommes qui les représentent organiquement. Dès lors, la messe est dite. La violence n’a plus qu’à occuper le devant de la scène.
C’est d’abord l’assassinat d’un premier Premier ministre auquel participe Rotaru (assassinat qui correspond historiquement à celui du Président du Conseil Duca en 1933 à Sinaia). C’est ensuite l’arrestation, la libération puis l’arrestation à nouveau, des chefs du mouvement des Messagers dont en premier lieu Toma Vesper. Avec, au final, une exécution probablement montée de toutes pièces: une évasion lors d’un déplacement sous escorte, dans un camion non fermé passant à proximité d’une forêt, évasion qui provoque des tirs mortels après sommation des gardiens, tout cela aux dires d’un communiqué officiel. Puis le Messager Vaissia exécute Răutu devenu Premier ministre en remplacement du précédent (Vaissia lui-même abattu par les gardes du corps du ministre). Le tout sur fond de violences antisémites que Dinu Pillat a synthétisées dans un épisode qui se passe à l’université mais qui, historiquement, ont culminé avec le pogrom de Bucarest en janvier 1941.
Au total, il me semble que le roman de Dinu Pillat n’est pas une œuvre que l’on puisse qualifier de militante. Elle ne fait pas l’apologie du mouvement légionnaire et encore moins de ces jeunes qui y adhérent. L’accusation du régime communiste selon laquelle ce roman fait l’éloge de l’idéologie légionnaire ainsi que des actions terroristes d’éléments légionnaires est totalement infondée. Cette accusation est une grossièreté de censeurs serviles aux ordres de l’ogre totalitaire. Par contre, que Dinu Pillat ait éprouvé de l’empathie pour ses personnages, cela paraît incontestable. Il ne justifie pas. Il tente de comprendre. Il est au cœur de l’homme et de sa complexité. Lui-même a-t-il été tenté par le mouvement légionnaire? Peut-être!… Ses premiers romans en rendent peut-être compte… Mais quoi qu’il en soit de cette aspiration légionnaire ou non chez Dinu Pillat, son roman traduit son appartenance à l’esprit classique en littérature de la bourgeoisie de l’Entre-deux-guerres en Roumanie. Dinu Pillat est à ranger auprès de son grand frère (littéraire) Liviu Rebreanu. Il en a l’esprit d’analyse, le sens de la construction, l’esprit de synthèse. Peut-être même la même tentation de renouveau en politique telle qu’elle apparaît chez Liviu Rebreanu dans un roman comme Gorila (La bête immonde) qui date de 1938 (12). Il ne lui manque que l’expérience qu’aurait pu lui offrir le temps pour asseoir plus largement son travail. Il manque quelques pages à ce roman très intéressant qui reste une œuvre de jeunesse. Quelques pages qui auraient pu donner un peu plus d’assise (inconfortable) aux personnages et un peu plus d’épaisseur au contexte national et international de l’époque où il situait son roman. Il n’en reste pas moins que Dinu Pillat avec En attendant l’heure d’après a montré de belles qualités littéraires qui font regretter pour la littérature roumaine ce destin brisé…
Bernard Camboulives, Paris, 2013
(1) Dinu Pillat, En attendant l’heure d’après, Éditions des Syrtes, 2013 (Editura Humanitas, Bucarest, 2010), traduit du roumain par Marily le Nir.
(2) La Garde de fer n’a cessé de prendre de l’ampleur dans la vie politique roumaine jusqu’en 1941. Constituée dès 1927 par Corneliu Zelea Codreanu (le Capitaine) sous le nom de Légion de l’Archange Michel, la Garde de fer apparaît en 1930 et se donne comme façade politique, quelques années plus tard, le parti politique Tout pour la patrie qui lui octroiera 66 députés, en 1937, faisant de lui la troisième force politique du pays. 1937 est également l’année où le Mouvement légionnaire (autre appellation de la Garde de fer) compte 272.000 militants actifs arborant la chemise verte et le salut romain. Toutefois, en butte à de fréquentes dissolutions et arrestations, la Garde de fer privilégie l’action terroriste et les meurtres: ceux des ministres Duca (en 1933) et Calinescu (en 1939), celui de l’historien Nicolae Iorga (en 1940), par exemple, parmi beaucoup d’autres. Sur le plan idéologique, l’historienne Alexandra Laignel-Lavastine écrit dans Cioran – Eliade – Ionesco, l’oubli du fascisme (PUF, 2002) que le Mouvement partage de nombreux traits avec les autres fascismes européens: culte de l’élite et du chef, rêve d’une nation épurée de ses éléments « étrangers », apologie de la « race daco-romaine », selon les termes de Codreanu, antisémitisme et antibolchévisme virulents, rejet de l’ordre libéral, grand projet de moralisation des mœurs politiques… La Garde de fer se distingue aussi par sa forte imprégnation religieuse et orthodoxe, son côté obscurantiste et ténébreux, sa mystique du sacrifice et de la mort exaltée dans le cadre d’une « guerre sainte » contre « l’esprit juif »- mission sacrée constamment invoquée par les légionnaires pour justifier l’extrême violence de leurs méthodes (p.111).
La sévère répression qui s’abattra sur le Mouvement dès 1938 (Mircea Eliade, comme de nombreux militants et sympathisants, sera d’ailleurs interné dans le camp de Miercurea Ciuc) ne suffira pas à l’éradiquer. Zeleanu tué, Horia Sima assurera la direction du mouvement avec encore plus de fanatisme. C’est enfin en sept 1940 que les légionnaires, sous l’autorité d’Ion Antonescu (futur Maréchal et Conducator), accèderont au pouvoir dans le cadre d’un État national légionnaire. Ils en seront, cependant, violemment écartés en janvier 1941, au terme d’une sanglante insurrection et d’un pogrom non moins meurtrier (120 Juifs tués, beaucoup d’autres violentés en trois jours), par Antonescu soutenu par Hitler lui-même qui trouvait ces légionnaires, pour l’occasion, trop … excités. Les rescapés de la répression d’Antonescu trouveront cependant refuge en Allemagne où le Führer, après les avoir utilisés à ses fins dans les années trente, s’en servira comme moyen de pression sur le gouvernement du « Conducator ».
(3) Mircea Eliade, Les hooligans, Éditions de l’Herne, 1987, traduit du roumain par Alain Paruit.
(4) Extrait tiré de la quatrième de couverture du roman de Mircea Eliade.
(5) Cum am devenit huligan, 1935, non traduit en français, essai publié en réponse à la préface de Nae Ionescu à son roman De douà mii de ani (Depuis deux mille ans, 1998, Éditions Stock, traduit du roumain par Alain Paruit). Nae Ionescu (1890 – 1940) est présent dans le roman de Dinu Pillat sans être nommé autrement que le professeur de philosophie. Il fut effectivement professeur à la Faculté de philosophie de Bucarest et eut une influence importante dans l’engagement de la jeunesse (Mircea Eliade notamment) dans la Garde de Fer. Pour plus de détails, lire le chapitre consacré à Mihai Sebastian dans Sur les pas des écrivains roumains, Bernard Camboulives, Éditions Vaillant, 2012.
(6) Norman Manea, Le retour du hooligan – Une vie, Éditions du Seuil, 2006, traduit du roumain par Nicolas Véron, (avec la collaboration d’Odile Serre)
(7) Georges Călinescu (1899 – 1965) est l’auteur d’une monumentale Histoire de la littérature roumaine depuis ses débuts ainsi que de nombreuses critiques littéraires, des romans, de la poésie et du théâtre.
(8) Tudor Vianu (1898 – 1964), critique littéraire et historien de la littérature roumaine mais aussi poète, essayiste, philosophe et traducteur.
(9) Emile M. Cioran, La transfiguration de la Roumanie (Schimbarea la faţă a României), Éditions de l’Herne, 2009 (1936 pour la première édition roumaine), traduit du roumain par Alain Paruit.
(10) A lire dans Depuis deux mille ans, 1998, Éditions Stock, traduit du roumain par Alain Paruit
(11) A lire dans Ion Luca Caragiale, Théâtre, L’Arche, 1994.
(12) Lire dans Sur les pas des écrivains roumains le chapitre consacré à l’œuvre de Liviu Rebreanu et notamment à Gorila (La bête immonde) Canevas – Fondation culturelle roumaine, 1995.