Honorables Sénateurs,
Je commencerai encore une fois comme jadis : Delenda Carthago !
Depuis tant de temps, je me suis abstenu ; mais voilà les nuages sombres de l’empire du mal revenus. Car cela n’a pas commencé hier : toute son histoire est faite de peuples entiers réduits à l’esclavage, de terres brûlées, de cités détruites, de guerres sans fin avec leurs milliers, leurs millions de morts.
Sa première proie a été d’abord son propre peuple ; peut-on s’étonner qu’il suive aveuglement ses dirigeants, des dictateurs, lui qui n’a jamais connu la démocratie ? Je m’étonnerai plutôt de l’aveuglement de ceux d’entre nous qui sont, il n’y a pas si longtemps, tombés en pamoison devant sa prétendue richesse qui n’était que décor d’opérette, de ce qu’il appelait liberté et qui n’était que de l’esclavage, de ce qu’il appelait égalité et que n’était que pauvreté, de ce qu’il appelait fraternité et qui n’était que soumission.
Certes, me direz-vous, il y a chez eux encore des hommes nobles : des savants, des écrivains, des poètes, des musiciens. Certains savent et disent la vérité ; d’autres se taisent car ils ont peur, d’autres encore sont, honteusement, du côté du pouvoir et du mensonge. Epargnons aux premiers notre haine, disons aux derniers tout notre mépris.
Car l’empire du mal vient encore une fois d’attaquer un peuple libre, sous des prétextes ridicules. Je sais, ce peuple aussi a ses fautes, il occupe aussi des terres étrangères et n’est pas tendre avec ceux d’une autre langue qui y vivent ; mais ce peuple est courageux et ne se soumet pas. Pour cela l’empire voudrait l’anéantir.
Honorables Sénateurs, je sors maintenant de mon silence pour vous dire : l’empire du mal ne s’arrêtera pas. La haine de la civilisation est sa nourriture et, comme un vampire, plus il tue plus il a besoin du sang neuf pour survivre. Car son éphémère dictateur d’aujourd’hui n’est que le dernier d’une longue série, attendre et espérer qu’il soit tué par les siens ou par une juste punition ne suffira pas, un autre tout aussi sanglant viendra un jour si nous ne coupons pas le mal à la racine.
Notre Premier Consul, qui se rêve César et se croit fils de Jupiter, discute encore presque tous les jours avec lui. Est-il aveugle ? A-t-il peur ? On ne discute pas avec les tueurs d’enfants !
A la tête de l’empire du mal, celui-ci n’est pas le seul coupable, ceux qui l’entourent et le peuple qui l’adule sout tout aussi coupables que lui car les fous on les enferme, les tueurs on les punit et les dictateurs on les chasse si on a le moindre respect pour la vie et de la dignité de l’homme libre.
Ils n’en ont pas, et ils méritent de disparaitre avec lui dans les ténèbres de l’enfer d’où il est sorti.
C’est l’empire lui-même qu’il faut détruire, sinon il nous détruira. Il a bien voulu être comme nous, riche comme nous, heureux comme nous mais pas libre, sinon pour continuer ses méfaits sans crainte aucune. Il ne nous a pas trompé et pour cela il nous haït ; sa plus ardente volonté, son plus noir dessein est de nous envahir, de prendre nos richesses, notre liberté, nos vies. C’est nous qu’il veut détruire, ce que nous sommes, ce qu’il ne sera jamais.
Qu’attendons-nous ? Nous l’avons jadis aidé, nous l’avons nourri, choyé quand il allait mal, quand il était menacé et envahi par plus fort que lui, nous sommes-nous trompé en l’aidant ? Je ne sais. Mais ensuite nous avons fermé les yeux devant ses crimes qui n’ont pas cessé, nous nous sommes réjoui quand il a semblé libéré de son passé et avons pensé à la fin de l’histoire, avons commencé à faire commerce avec lui et pensé qu’il est désormais comme nous. Tragique erreur, car il n’a fait que poursuivre son funeste dessein : nous dominer et finir par nous détruire.
Dans notre naïveté sans bornes, nous avons laissé se perpétrer les turpitudes de ses très riches sujets qui sont venus vivre chez nous et ont profité de notre tolérance et, pour dire la vérité, de notre propre appât du gain ; mais cela est, je l’espère, fini. Nous avons enfin ouvert les yeux ; il nous reste à affermir nos cœurs, dépasser notre lâcheté et notre peur qui vient d’une trop longue paix qui a ramolli nos jeunes qui ne rêvent que de plaisirs futiles et ont oublié que l’homme est toujours une bête et que l’histoire est tragique. Nous devons réapprendre à être forts.
Dans son désespoir, l’empire aux abois cherche un prétexte pour nous faire la guerre, en pensant qu’une grande guerre, la mère de toutes les guerres, effacera la honte de celle qu’il est en train de perdre devant un si petit peuple. Nous devons être forts comme nos ancêtres jadis.
S’il veut la guerre, il l’aura et il la perdra. Nous construirons ensuite sans lui un monde meilleur. Delenda Carthago!
Marcus Porcius Cato, dit Cato Major