Ci-dessous un extrait de « Sleek Magazine » du 30 septembre 2021 et l’article de Marina Lupas qui a accompagné l’oeuvre dans les dépliants du salon de Art Basel 2021, traduit par l’auteur en français.
Highlights from Art Basel 2021
30 September 2021
Part of the Future galleries section I was pleased to discover the gallery P420, representing for the very first time, Ana Lupaș (b. 1940), artist from Cluj, Transylvania. Her conceptual approach has strongly influenced a whole generation of Romanian artists, with a clearly avant-garde approach, she developed performative and conceptual practices, some ephemeral, direct interventions, mainly in nature. Created towards the end of the 1980s, during the dark period of communism in Romania, the ”Coats to borrow” work provides a variety of messages by following the major themes of Ana Lupaș’s work – identity, the collaborative component of the creative process and the social therapy design of her works.
Coats to Borrow, 1989
Marina Lupas, 2020
Créées vers la fin des années 1980, en pleine période noire du communisme en Roumanie, les Coats to borrow se prêtent à une lecture plurielle en suivant des thèmes majeurs de l’oeuvre de Ana Lupas– l’identité, la composante collaborative du processus de création, la vocation de « thérapie sociale » de ses oeuvres.
Lors de la création des Coats to borrow, le pouvoir communiste alors en place était promis à une belle longévité. Preuve en est le nombre de vêtements réalisés par Ana Lupas qui devaient assurer la pérennité de l’œuvre-action pour une longue période. A la fin de l’année 1989 l’histoire en a décidé autrementet donc seulement 2 vêtements ont pu être mis « en circulation » avant la chute du régime de Ceausescu.
Les vêtements passaient de main en main, chaque porteur inscrivant à l’intérieur, sur un morceau de tissu de son choix, soit son nom, soit un autre symbole indiquant que le vêtement avait été porté.
Sommes-nous en présence d’une oeuvre à visée illicite ou illégale ? Plutôt illicite car elle est principalement non-conforme à l’ordre public plutôt que contraire à la loi, à ce qu’elle interdit ou prohibe. Coats to borrow sont des objets de camouflage social ; empruntés, prêtés, portés, ils se transforment en vecteurs idéologiques. Coats to borrow est à la fois objet d’art et geste militant, politisé, proche d’un media. Par certains aspects – la diffusion, le « langage graphique » – affranchissement des règles graphiques traditionnelles- les « collages », l’écriture manuscrite, une « mise en page intérieure» volontairement chaotique, afin de se démarquer de l’esthétique conventionnelle et le Do It Yourself (DIY) – l’installation renvoie aux « fanzines » et aux techniques de communication de réseaux de diffusion alternatifs. Circulant sous le manteau, par le bouche à oreille, leur diffusion volontairement restreinte renforce la dimension communautaire.
Ce type de création, avec une composante collaborative, que l’on retrouve également dans TheSolemn Process etHumid Installation où l’artiste implique dans le processus de développement des communautés, des groupes d’individus, pose, entre autres, la question du rapport identité individuelle/ identité collective.
L’identité personnelle n’est pas le champ clos d’une intériorité cachée à la visibilité, mais cette conscience de soi qui se forge par l’échange et la rencontre, voire le conflit, avec l’autre. Nous accédons à nous-mêmes par le détour et la relation aux autres. L’identité personnelle concerne un sentiment de différence par rapport aux autres, alors que l’identité collective concerne un sentiment de similitude avec ces mêmes autres. On utilise d’autant plus aisément la notion d’identité collective qu’elle est ressentie comme un référent à un contexte de forte valorisation de « sujets individuels ».
L’identité collective est introspective. On se nomme collectivement, de l’intérieur d’une communauté de destin ou de condition. Elle pose la question « Qui sommes-nous? ». Les membres en apprennent à se connaître en regardant comment ils sont traités, en découvrant des contraintes et des oppressions communes. L’identité collective se construit ou se renforce de façon réactive – réaction à l’uniformisation culturelle et sociale, en période de crise, de malaise, d’insatisfaction.
Ana Lupas prouve ici, comme dans les œuvres mentionnées plus haut, qu’elle excelle en tant qu’initiateur dans la construction d’une collectivité avec une forte identité propre.
L’œuvre Coats to Borrow propose un permanent va-et-vient entre collectif et individuel, intérieur et extérieur. Extérieur/individuel – ébauche de demeures individuelles : lit métallique d’une personne rappelant une demeure précaire ou une cellule de prison, vêtements en souffrance sur un patère…., intérieur/collectif – l’ensemble des traces des uns et des autres : « écrits », signes d’usure et de transpiration des vêtements( voir son œuvre Identity shirts 3rd generation).
Ana Lupas repousse ici, encore une fois, les limites du langage des textiles; l’action de coudre les étiquettes en chiffon acquière une signification métaphorique, celle de la réunion de différentes réalités et personnalités par des gestes humbles, de pauvreté : reprisage et rapiéçage. Ana Lupas invite à la DIY par la participation active des futurs acquéreurs (membres d’un cercle très restreint) desCoats, par l’écriture effective de chacun, grâce aux étiquettes « détachées » mises à disposition, à créer un contenu, un moyen d’expression exclusif, personnel et personnalisé et d’initier son propre réseau confidentiel.