08 octobre 2016 | Dr. Andreas WILD, ingénieur électronicien, ancien directeur exécutif de l’agence européenne ECSEL (Electronic Components and Systems for European Leadership), membre de la famille Lapedatu. |
Résumé
Dans la génération qui a réalisé la Grande Union de la Roumanie, il y a deux personnalités étonnantes : les frères jumeaux Alexandre et Ion Lapedatu. Ministres, sénateurs, professeurs des universités, l’un président de l’Académie Roumaine et l’autre Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie – la liste des fonctions au service de l’Etat (ou de leurs décorations !) – ne laisserait pas soupçonner leur peu prometteuse naissance en 1876 à Săcele (Brasov), dans le sud de la Transylvanie. En Autriche-Hongrie, pendant des siècles, leur ethnie roumaine n’était que « tolérée » et leur religion orthodoxe n’était pas reconnue officiellement. Ioan Al. Lapedatu, leur père, issu du milieu rural, ayant obtenu une bourse à la Sorbonne, doit quitter Paris pour Bruxelles à l’arrivée des armées prussiennes. Là il devient « docteur en philosophie et lettres avec grande distinction » et revient à Braṣov pour enseigner au Collège Șaguna et travailler comme journaliste et écrivain, mais meurt en 1878, laissant une veuve de dix-sept ans sans moyens de subsistance avec deux orphelins d’un an et demi.
Les jumeaux se séparent à quatorze ans: Alexandre avec la mère vivent à Jassi dans le Royaume de la Roumanie ; Ion vit avec sa grand-mère à Braṣov en Autriche-Hongrie. Malgré les privations, ils réussissent à faire des études supérieures : Ion en économie à Budapest, devenant directeur de banque et organisateur de la vie financière des roumains en Transylvanie ; Alexandre en histoire à Bucarest, trouvant un premier emploi dans la section des manuscrits de l’Académie Roumaine.
Les frères sont réunis après avoir participé dans l’acte de la Grande Union nationale en 1918. Ion, délégué dans l’assemblée d’Alba Iulia, devient secrétaire général du ressort financier du Conseil Dirigeant ; Alexandre préside le comité des refugiés roumains de l’Autriche-Hongrie et collabore avec la minorité allemande pour préparer l’assemblée de Mediaṣ. Tous deux participent à la Conférence de paix de Paris, comme membre (Alexandre) ou comme consultant (Ion) de la délégation roumaine.
Après le succès de Trianon, la Grande Roumanie se confronte avec un défi monumental: intégrer des régions qui ont eu, pendant des siècles, des systèmes financiers, économiques, sociaux et religieux complètement différents, souvent incompatibles. La contribution historique de la génération de la Grande Union a été de poursuivre avec ténacité, malgré les dérives politiciennes ou extrémistes qui n’ont pas manqué, le projet d’une Roumanie moderne, inclusive, tolérante et prospère.
Alexandru devient l’une des figures centrales du Parti Libéral, posant son empreinte sur des lois essentielles pour l’intégration: l’établissement du patriarche de l’église orthodoxe, les Statuts que les orthodoxes et les autres congrégations se donnent, et surtout la loi des cultes mettant sur pied d’égalité toutes les croyances. Entre autres, il est parmi les signataires du décret du Gouvernement mettant hors la loi l’organisation extrémiste « Garda de Fier ». Ion est actif dans le Parti National Transylvain jusqu’à sa fusion avec le Parti Paysan en 1926, quand il se retire de la vie politique. Depuis sa position dans la Banque Nationale de Roumanie, il exprime sa vision sur le rôle des interventions étatiques, négocie les crédits internationaux pour la stabilisation monétaire, et supervise des sociétés d’importance nationale comme SONAMETAN, exploitant le gaz naturel en Transylvanie. Dans la quatrième décennie, la Grande Roumanie atteint son l’apogée.
Dès le début, la seconde guerre mondiale réduit son territoire : l’Union Soviétique annexe la Bessarabie (pacte Ribbentrop-Molotov) et la Hongrie occupe le nord de la Transylvanie (le deuxième arbitrage de Vienne). La fin de la guerre rapporte la Transylvanie, mais pas la Bessarabie et le nord de la Bucovine et la Roumanie reste figée pour un demi-siècle sous le régime communiste qui anéantit systématiquement la génération de la Grande Union. Alexandru est arrêté dans la rafle dite « des dignitaires » en mai 1950, et meurt fin août dans la prison de Sighet. Ion, fixé au lit à la suite d’un accident, n’est pas arrêté, mais meurt quelques mois plus tard dans la pauvreté et le désespoir, pensant avoir complètement gaspillé sa vie.
Dans la perspective contemporaine, leurs actes prennent une toute autre signification. Dans leur époque, les frères Lapedatu et leurs collègues de génération ont relevé des défis et ont proposé des solutions d’incontestable actualité. Ils ont gravi, des fois dans la douleur mais toujours pleins d’espoir, les premières marches d’une ascension vers la modernité que les jeunes générations roumaines d’aujourd’hui vont sans doute continuer dans leurs progrès vers un avenir meilleur.
Andreas Anton WILD – CV
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Dr. Andreas Wild a pris sa retraite à la fin 2015 du poste de directeur exécutif de l’entreprise commune ECSEL, un partenariat public-privé sur la nanoélectronique, le logiciel embarqué et l’intégration intelligente des systèmes, établi comme un organisme autonome de l’Union européenne.
Il est né et a fait ses études en Roumanie, obtenant son diplôme d’ingénieur électronique spécialisé en composantes à l’Université « Politehnica » de Bucarest et son doctorat à l’Institut de physique atomique de Bucarest. Après ses débuts professionnels à l’IPRS Baneasa, Bucarest en 1974, il a rejoint en 1982 le Secteurs de Produits Semi-conducteurs de Motorola à Munich et a continué sa carrière en 1993 aux Etats Unis, pour revenir en France en 2000, et retourner sur Munich en 2007. Fin janvier 2009, il a quitté Freescale Semiconductor (le nom sous lequel Motorola avait externalisé son secteur composantes en 2004). Il a passé pratiquement toute sa carrière en recherche et développement, gérant des laboratoires en Allemagne, France, aux Etats Unis, et en Amérique latine, en finissant sa carrière comme directeur de recherche en Europe et membre du conseil d’administration des entités légales de Motorola/Freescale en France et en Allemagne.
Il est l’auteur de 28 brevets et a publié plus de 50 articles techniques.
Avant de rejoindre les institutions européennes en 2009, il a ouvert une galerie d’art moderne à Munich qui a fonctionné un peu plus d’un an.