17 octobre 2015 | M. Robert BELOT, historien – Professeur des Universités à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté (UTBM) |
Résumé
Grégoire Gafenco a été le dernier ministre des Affaires étrangères de Roumanie avant la guerre déclenchée par Hitler. Exilé en Suisse, il rédige deux livres fondamentaux (mais bien méconnus de nos jours) où le témoin lucide se transforme en l’historien du temps présent : Préliminaires de la guerre à l’Est (1944) et Derniers jours de l’Europe (1945 1946). Dans ces deux livres, mais aussi dans les articles qu’il publie dans les journaux helvétiques, Gafenco condamne le nazisme comme négation de ce qu’il aime appeler « la civilisation européenne ». Mais dès la fin de la guerre, il déplore, sensible aux prodromes de ce qu’on n’appelle pas encore la guerre froide, que l’Europe qui tente de renaître sous l’égide des « Trois Grands » obéisse plus à une logique de « blocs » qu’à une ambition de valeurs et d’équilibre. La nouvelle Roumanie passée dans le « bloc » soviétique en témoigne : elle condamne Gafenco à l’exil, à la confiscation de ses biens et à vingt ans de travaux forcés.
Après la Guerre il s’établit en France qu’il quitte en 1948 pour les États-Unis où il va être très actif au plan politique tant dans la promotion du « Mouvement Européen » que dans le « Free Europe Committee » à la création duquel il a participé. En 1954 il revient en France avec sa femme, franco-roumaine, et décide alors de renouer avec l’exercice quotidien de son journal intime, arrêté en janvier 1952.
Dans un style d’une grande pureté, avec un sens des nuances et de la complexité des choses et des hommes, Grégoire Gafenco livre une réflexion originale sur le rôle que peut/doit jouer la France, pays qu’il a en haute estime, dans la formation de « l’Occident européen » confronté à la nouvelle donne géopolitique provoquée par l’opposition entre les États-Unis et l’URSS. Il regarde la « petite Europe » comme une entité désarmée, tant culturellement que militairement, à qui il faut redonner confiance et puissance. Il évoque enfin la manière dont il entend lui-même travailler, au sein des mouvements fédéralistes européens en pleine expansion, au rappel de la nécessité de ne pas oublier l’ambition de « l’Europe unie », qui doit viser à la réintégration à terme des pays tombés sous le joug communiste, à l’instar de la Roumanie.
Dans ce journal, outre un remarquable analyste de l’Europe politique, on découvre un homme sensible, qui souffre parfois du « mal de l’exil », qui parle avec émotion de sa femme qui a accepté de l’accompagner dans une aventure dangereuse et un « présent d’infortune ». J’ai pu prendre connaissance de ce journal inédit dans les archives de la Bibliothèque Roumaine de Freiburg (Allemagne) que mon collègue Alexandre Herlea m’a fait découvrir.
Robert BELOT – CV
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Robert BELOT est un historien français, professeur des Universités à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté (UTBM).
Il a obtenu son habilitation à diriger des recherches à l’Institut d’Études Politiques de Paris et son doctorat à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Après avoir exercé des fonctions à Paris au ministère de la Défense et au ministère de l’Enseignement supérieur, il a cofondé et dirigé (2003-2013) le laboratoire RECITS (recherches sur le changement industriel, technologique et sociétal) à l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard. Il s’agit d’un laboratoire pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales spécialisé dans les études sur les enjeux historiques, sociologiques, économiques et géopolitiques des mutations technologiques. Il dirige la revue Les Cahiers de RECITS. Il est aussi, notamment, membre du conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle et membre du Comité des Travaux Historiques et Scientifique (CTHS).
Le cœur de sa recherche est dédié aux mutations géopolitiques aux XIXe et XXe siècles et à l’incidence de la donne internationale sur les politiques et les cultures nationales. C’est ainsi qu’il a particulièrement étudié l’impact socio-politique de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide sur les sociétés européennes. Spécialiste des mouvements de Résistance au nazisme, du gaullisme et des mouvements fédéralistes européens, il a publié la première biographie du président de l’Union Européennes des Fédéralistes, Henri Frenay. Il va publier (automne 2015) un livre sur les enjeux politiques et géopolitiques de l’entrée de la France dans l’âge atomique à partir de 1945.
Quelques références :
L’Eden atomique. Histoire de l’exception nucléaire française, éd. Odile Jacob, 2015.
Corée-France : regards croisés sur deux sociétés face à l’occupation étrangère (codir.), Pôle éditorial de l’UTBM, 2013.
La Seconde Guerre mondiale pour les Nuls, Paris, éd. First, 2011.
La Résistance sans De Gaulle. Politique et gaullisme de guerre, Paris, Fayard, 2006.
Henri Frenay, de la Résistance à l’Europe, Paris, éd. du Seuil, 2003.